« IL SPRITZ », en italien,
« EL SPRISS », ainsi que le prononcent les vénitiens, ainsi qu’ils l’écrivent en dialecte…. Je me servirai de cette dernière orthographe car nous ne sommes pas vénitiens pour rien, Ostregheta !….
(Juron vénitien qu’employait ma mère en permanence, traduction : petite huître)….

Le Spriss est, aux vénitiens, ce qu’est le Pastis aux marseillais ou le Kir aux dijonnais….
C’est le cocktail apéritif institutionnel vénitien, bu par TOUS, aussi bien par les « djeuns » que par les anciens, par les hommes que par les femmes, servi dans tous les « Baccari » (un « Baccaro étant un bar typique de Venise) et qui s’exporte maintenant au-delà des frontières de la Vénétie….
Il vous faut savoir que si, en cette année 2012, vous consommez un Spriss au bar d’un Baccaro, il vous en coûtera la modeste somme de 2€ à 2,50€…. Si vous le prenez assis en salle ou en terrasse, vous en aurez pour 1€ à 1,50€ supplémentaires…. (Je ne vous parle pas bien sûr des pièges à touristes que sont les terrasses de la place de San Marco où vous en aurez pour 10€ à 15€)…. En revanche si vous consommez au bar une quelconque bière pression, vous vous en sortirez à pas moins de 5€…. D’où l’intérêt, et pour le prix et pour le goût et pour le plaisir, de déguster un Spriss….
je vais vous livrer et illustrer dans le détail la préparation du Spriss, comme à la maison….
1ère phase : Je commence par une grosse olive verte dans le verre, soit l’olive se met au début de la préparation, soit elle se met à la fin, à votre guise….

Dans les « baccari », une fois l’olive avalée, on est toujours ennuyé avec le noyau dont on ne sait que faire s’il n’est une poubelle à portée, ou alors, si l’on est en terrasse, dans le cendrier, pas jojo…. La solution, en général, c’est de remettre le noyau dans le verre encore plein….
Alors si les olives sont dénoyautées, comme à la maison, c’est bien plus sympa….

2nd phase : Les glaçons…. Extrêmement important !…. Le Spriss ne se boit que toujours très frais, été comme hiver…. Un Spriss sans les glaçons, même pas j’en veux!…..

3ème phase : Le vin blanc sec, peu titré en alcool, soit 9°, 10° ou 11° maxi… Éviter les vins trop parfumés comme les Alsace…. En France, un petit Muscadet fera très bienl’affaire….
Ici, à Venise, je prends un Verduzzo, un petit vin blanc de la région du Veneto….

Servir jusqu’au premier tiers du verre…. Important car le Spriss se décline en trois tiers….

Voilà le premier tiers atteint pour mes convives de ce soir…..

Il est possible aussi de remplacer le vin blanc sec par le « Prosecco » Appellation d’Origine Contrôlée, en italien « DOC » Denominazione di Origine Controllata , « brut » ou « extra dry » qui est en quelque sorte le champagne des vénitiens, vin blanc sec pétillant, à la méthode champenoise, très agréable à boire, élevé dans le Veneto….

4ème phase : la plus importante, car si le Spriss se décline en trois tiers, le second tiers se décline en 4 parfums différents relatifs aux 4 adjuvants servant à le préparer….
Le premier et le plus connu, c’est le « Spriss al Bitter »…. C’est-à-dire le Spriss préparé avec le Campari, qui est, comme chacun le sait, un « Bitter » comme écrit sur l’étiquette de la bouteille, en dessous de « Campari »….

Le second, tout aussi connu que le premier, c’est le « Spriss al Aperol » (Accent tonique sur le A d’Aperol) …. Actuellement, à Venise, il est plus en vogue que le Bitter…. Bien sûr, il est impossible de connaitre la composition exacte de ces adjuvants, qui reste secrète, mais l’Aperol est à forte dominance d’orange et beaucoup moins amer que le Bitter…. On en trouve difficilement en France, mais facilement au Luxembourg…. Quand nous vivions en Lorraine, nous allions faire régulièrement nos provisions au magasin Cactus d’Esch-sur-Alzette où réside une grande colonie italienne….

Le troisième moins répandu, c’est le « Spriss al Cynar »…. Beaucoup plus facile à trouver en France, dans les hyper-marchés…. Plus amer que l’Aperol, de couleur plus foncée, il est obtenu à partir d’artichauts…. Beaucoup de culture d’artichauts dans les îles lagunaires, les cœurs d’artichauts, vendus sans feuilles, sur tous les marchés de Venise font partie des légumes de prédilection des vénitiens….

Enfin le dernier, c’est le « Spriss al Select »…. Je suis incapable de vous donner un indice sur sa composition également secrète, mais il est fabriqué à Venise et on ne le trouve nulle part ailleurs !…. Si vous vous aventurez à 20 bornes de Venise, par exemple au Lido di Jesolo, ils ne savent même pas ce que c’est…. J’ai vérifié ce phénomène plusieurs fois avec stupéfaction (et frustration car c’est mon préféré) …. Sur l’étiquette de la bouteille on distingue d’ailleurs le fer avant de la gondole sur fond bleu…. Moins sucré que l’Aperol mais moins amer que le Bitter et le Cynar, c’est mon Spriss de prédilection…. Comme dirait Luca, le patron de mon bar habituel, « xe el spriss del venexianàzzo » nous traduirons par «c’est le spritz du pur vénitien»….

Voilà pour la famille spriss avec toujours à la maison une bouteille en double pour ne pas tomber en panne sèche….

Si l’on tombe en rade, il y a toujours la réserve en bas du bar….

et si jamais une bande de boit-sans-soif débarque chez nous, nous avons encore dans le garage les cartons d’Aperol, Select et compagnie…. Non mais !….
Pour l’apéritif aujourd’hui, nous sommes en famille, le premier verre sera au Cynar, la préférence de ma bien-aimée….

Remplissage du second tiers….

Ensuite, Select pour votre serviteur, ….

niveau atteint :

ensuite Aperol pour les 3 derniers verres, Florence, Hugo et Papà qui boit toujours son verre de Spriss bien que dans sa 94ème année…. (Aujourd’hui pas d’amateurs de Bitter)….

l’Aperol est manifestement de couleur plus orangée…

Fin de la bouteille au troisième verre d’Aperol !….

Qu’à cela ne tienne, la réserve est là….

5ème phase : le dernier tiers, c’est l’eau gazeuse, chez nous on dit : « l’aqua frizzante »…. Que l’on fasse le spriss avec du vin blanc ou du Prosecco, toujours ajoutez l’eau….Il faut qu’elle soit bien gazeuse et pas salée…. En France, je prenais de la Quézac, à Venise je prends de la Guizza…..
On peut aussi utiliser de l’eau de seltz sous pression avec un siphon et sa cartouche de gaz, ce n’en est que mieux….

Dans presque tous les « Baccari » vénitiens, l’eau pétillante est à la pression, comme la bière dans les troquets français…. Et la force de la pression permet de bien mélanger le tiers de vin blanc, le tiers d’adjuvant et le tiers d’eau pétillante….
Mais à la maison, si pas de siphon ou plus de cartouche de gaz, je vous livre la vieille méthode vénitienne….
On fait un trou de 2 à 3 millimètres dans le bouchon de la bouteille d’eau….

On le revisse sur la bouteille

On retourne la bouteille en bouchant le trou avec l’index de l’autre main

et on presse énergiquement sur la bouteille pour envoyer dans le verre l’eau sous pression

Et le mélange se fait parfaitement bien et devient même mousseux, exactement comme il se doit…..

6ème phase : ne pas oublier les agrumes….
rondelle de citron pour le Cynar, le Select et le Bitter

Et obligatoirement rondelle d’orange pour l’Aperol….

7ème phase : qui m’est tout à fait personnelle, donc facultative, c’est mon truc à moi, je rajoute toujours dans mon « Spriss al Select » de « l’Angostura »…. On trouve de « l’Angostura » dans beaucoup de cocktails connus…. La petite bouteille de 10 centilitres est relativement difficile à trouver et coute aussi cher qu’une bouteille de Whisky…. On en trouve dans les magasins Metro, en France comme en Italie….

Deux à trois gouttes suffisent pour donner un petit relief supplémentaire à cette boisson, affaire de goût….

Maintenant vous savez tout sur le Spriss, même le superflu….

Salute !…..
Le seul inconvénient de cette histoire est, quand je suis invité chez des amis, même en France, c’est toujours le Coyote de service :



La dure rançon de la gloire…..
Claudio Boaretto