CA’ROMAN, L’ÎLE VÉNITIENNE QUI GRANDIT…..
Posté par Claudio Boaretto le 21 juin 2012
Ca’Roman, petite île de la lagune vénitienne….
La plage et les dunes de Ca’Roman sont le témoignage de l’évolution rapide de l’environnement côtier et de sa réponse à l’intervention humaine….
Comme on peut voir sur la carte ci-dessous, en 1901, Ca’Roman était une petite île de 600 mètres de long sur 300 mètres de large, entre mer et lagune….
(Pour une meilleure compréhension, j’ai annoté à la main et bricolé quelques cartes)
Ca’Roman vers 1901
La deuxième carte permet de mieux situer Ca’Roman dans l’espace lagunaire…. Le Nord est à droite, le Sud à gauche, donc l’Ouest en haut, l’Est en bas, car pour des commodités de visualisation, sont orientées ainsi de nombreuses cartes représentant la lagune vénitienne….
J’ai entouré Ca’Roman en rouge….
Ca’Roman, située à l’extrémité de la lagune sud, devant Chioggia, est appuyée sur sa face sud contre la digue tribord de l’entrée de port de la bouche de Chioggia, et, à environ 2 kilomètres à son nord, se trouve l’extrémité sud de l’île de Pellestrina
En 1911 commencèrent les travaux pour la construction du môle, ici on l’appelle le « Murazzo », pour la protection de la bouche de port de Chioggia.
Longue de 1800 mètres, cette digue devait relier Ca’Roman à Pellestrina….
Voici le môle en question, partant de Pellestrina, à droite la lagune, à gauche la mer…..
Pour le plaisir, gros plan sur la pittoresque cabane de pêche….
La digue avait pour but d’empêcher les sédiments provenant des fleuves du nord de suivre leur parcours naturel le long de la côte et obstruer la bouche de port de Chioggia avec des étendues de bancs de sable formant obstacle à la navigation….
Les sables, bloqués par la grande structure du môle, commencèrent à former une nouvelle plage, déjà bien visible sur la carte en 1933….
Au cours du temps, le phénomène a continué : une énorme quantité de sable, prise au piège par le môle et la ligne du rivage, a gagné du terrain sur la mer….
La ligne de rivage de 1955….
La ligne de rivage de 1968….
La ligne de rivage de 1987….
La ligne de rivage de 2009, dernière carte….
La distance entre la rive lagunaire et la rive maritime actuelle, à son endroit le plus large, est aujourd’hui d’environ 1 kilomètre…. Elle était de 300 mètres en 1901….
De plus, quand souffle la « Bora », ce vent froid et puissant du Nord-est venant des Balkans, donc de la mer, elle transporte les sables de la plage vers l’entre-terre de Ca’Roman formant ainsi un cordon de dunes….
La bonne conservation des vieilles dunes et la rapide formation des nouvelles permet aux chercheurs l’opportunité désormais rare dans l’adriatique, d’étudier le mécanisme de formation de ces morphologies et offre un véritable laboratoire à ciel ouvert….
L’avancement de la ligne de rivage continue encore aujourd’hui, l’île de Ca’Roman croit en moyenne de 3 à 4 mètres par an !!!! Phénomène fantastique !….
Voici, à ce jour, la situation et la taille actuelle de Ca’Roman dans son espace lagunaire relié à Pellestrina par le môle…..
Le môle vu en sens inverse, de Ca’Roman, tout au bout on aperçoit Pellestrina….. Une jolie balade entre mer et lagune….
Après la démonstration sur cartes, constatation sur le terrain….
Deux petits chemins partant de la plage traversent l’île dans sa largeur….
Nous empruntons un de ces chemins et au bout de quelques dizaines de mètres nous découvrons un piquet ….
Ce piquet, qui porte le numéro 5 sur son flanc, indique sur sa face la ligne de rivage de 1987….
La plage actuelle est éloignée par rapport au piquet, comme on peut le voir sur la photo, nous sommes déjà dans les dunes….
Ces dunes « beiges », comme on les appelle ici, sont formées par le sable poussé vers l’intérieur par la « Bora » et sont colonisées par la végétation qui les fixe…. Tout particulièrement, comme on le voit ici, par « l’Ammophila Littoralis » de son nom latin, en français « l’Oyat », cette plante pionnière qui grâce à un système racinaire très profond fixe rapidement les dunes….
En gros plan….
D’autres plantes contribuent à cette colonisation….
Mes modestes connaissances en botanique ne me permettent pas de toutes les identifier…..
Plusieurs centaines de pas plus loin, nous arrivons au piquet numéro 4….
C’était la ligne de rivage 1968….
La plage est maintenant bien loin, les dunes plus formées et la végétation plus dense….
Nous continuons notre chemin jusqu’au piquet numéro 3….
Ligne de rivage 1955….
Plus possible de voir la mer, nous en sommes trop loin, et nous arrivons sur, ce que l’on appelle ici, les dunes « grises » par opposition aux « beiges »…. C’est-à-dire que les dunes sont maintenant recouvertes de mousse et d’humus bien visibles sur la photo ci-dessous….
Continuant notre chemin, voici le piquet numéro 2
Ligne de rivage 1933….
Le chemin reste sableux, nous sommes dorénavant dans la pinède plantée par les forestiers de l’époque….
Enfin le dernier piquet, le numéro 1….
La ligne de rivage 1911….
Nous sommes carrément dans une allée forestière….
Avec de vrais sous-bois….
D’où l’on s’attendrait à voir surgir chevreuils ou sangliers….
Un bunker qui surveillait la plage pendant les dernières guerres se retrouve en pleine terre….
Clou du spectacle, le fort de « Barbarigo »….
il fut construit au début des années 1800…
La garnison du fort était de 150 hommes et un fossé l’entourait d’une profondeur de deux mètres et d’une largeur variant de7 à 15 mètres….
Voici, en plein bois, l’entrée du fort aujourd’hui….
Trois canons de 16 cm surplombaient le rivage et contrôlaient l’entrée du port de Chioggia et le Littoral de Pellestrina….
Nous voici au premier étage du fort près des tourelles où étaient disposés ces canons qui, envahies par la végétation, ne surplombent plus rien car entourées de dunes boisées….
Ce qu’il faut retenir aussi de Ca’Roman…. :
L’île est une aire naturelle protégée, en Italie on appelle cela un « OASI »….
En raison de sa valeur environnementale Ca ‘Roman est aussi un site d’importance communautaire (SIC) et Zone de Protection Spéciale (ZPS).
« Divieto di Caccia » veut dire « interdit de chasser », cela va de soi….
Cette ile est sous la surveillance de la LIPU qui gère l’OASI de Ca’Roman….
LIPU = Lega Italiana Protezioni Uccelli,
(soit Ligue Italienne de Protection des Oiseaux, en France ce serait la LPO)….
Hé oui, malgré sa petite taille mais grâce à sa tranquillité insulaire, son peu de fréquentation, rare d’y voir un touriste égaré, Ca’Roman possède une faune volante d’une extraordinaire richesse….
Placé sur l’une des routes migratoires des plus importantes d’Italie, plus de 100 espèces d’oiseaux y sont recensées….
On peut les observer à la tombée de la nuit ou au lever du jour, principalement au printemps et en automne où ils font escale avant de poursuivre leur voyage…
Mais quel est le secret de Ca’Roman?….
Indovina, indovinello, je vous l’ai réservé pour la fin :
C’est la PLAGE !!!….
J’entends déjà l’estivant lambda crier :
« Mais cette plage est sale !, c’est dégueulasse ! »….
Cette plage n’est pas sale, cette plage est NATURELLE !!!….
Les bénévoles de la LIPU nettoient cette plage à la main, sans outils à moteurs, sans tracteurs, sans pelles mécanique ou autres….
Ne sont retirés que les détritus et résidus en plastique…. Le reste est conservé….
Que soit le bois flotté….
Ou les algues et herbes poussées sur le sable par les marées….
voici le résultat, un biotope de prédilection idéal pour la reproduction des oiseaux….
L’OASI a du installer des piquets pour délimiter les zones de nidification et empêcher les éventuels et rares promeneurs de déranger nids et couvées…
Tenter d’apercevoir un nid ou une couvée sous ces enchevêtrements relève de la mission impossible….
Et pour tenter de voir les oiseaux les « binocoli », les jumelles, sont indispensables….
Avec mon Zoom à toc, j’ai réussi à shooter des « Fratini » au mois d’avril…..
Vérification faite, il s’avère que ce ne sont pas des « Fratini », mais des « Piovanelli tridattili », des bécasseaux sanderlings, une espèce très semblable, cousine des « Fratini »…. Ils se déplacent en courant sur la grève à une incroyable vitesse….
Je suis content malgré tout que l’OASI Ca’Roman ait jugé bon de publier ma photo sur leur page Facebook….
Pour terminer, je vous laisse sur une dernière photo de cette « PLAGE DE RÊVE »,
avec au loin les travaux du « MoSe » sur la bouche de port de Chioggia….
J’ai pris beaucoup de plaisir à effectuer ce reportage….
Claudio Boaretto
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