NAVIGATION ORNITHOLOGIQUE SUR LA LAGUNE NORD DE VENISE
Posté par Claudio Boaretto le 31 juillet 2017
Hugo et moi sommes partis en bateau dans l’intention de faire un petit safari « foto » dans une des parties sauvages de la lagune nord de Venise…
La motivation d’Hugo est picturale, la mienne « fotografic » …
Nous avions l’intention de shooter et/ou de croquer ces paysages linéaires caractéristiques de notre lagune où les petites iles et les « Barene » (Lais) forment des lignes de terre séparant à l’horizon le ciel et l’eau…
Mais la présence des oiseaux lagunaires a transformé notre exploration paysagère en exploration ornithologique…
Partis à 11 heures du matin du sestiere de « Cannaregio » nous avons laissé derrière nous Murano et, dans un premier temps, cap sur Burano…
Pour les connaisseurs de la lagune voici notre parcours que j’ai fléché en rouge, soit 5 bonnes heures de navigation…
(Attention pour les navigateurs, cette carte touristique est orientée plus ou moins vers le noroît)
Nous voici déjà sur le « Canale Scomenzera » et nous laissons sur notre tribord l’île de « San Giacomo in Palude » …
Un bon kilomètre plus loin, toujours sur notre tribord nous doublons l’ile de la « Madonna del Monte » et les ruines d’une ancienne poudrière qui fut construite sur les restes d’un monastère…
Droit devant « Burano » avec son campanile penché…
Comme nous sommes cap au nordet, le campanile penche vers le Suret, donc vers notre tribord…
Nous longeons l’île de Mazzorbo et son église de « Santa Caterina » pour nous amarrer à « Burano » car c’est l’heure du « casse-croute » …
Après un petit « Fritto misto » nous voilà reparti cap au nord et longeons l’île de « Torcello » et sa remarquable cathédrale « Santa Maria Assunta » …
Nous pénétrons alors véritablement dans la lagune sauvage, loin de la navigation intense du bassin de « San Marco », du « Canal Grande » et du Canal de la « Giudecca » …
Je voulais shooter un « Gabbiano Reale » (goéland) debout sur sa « Bricola », image emblématique de la lagune vénitienne, mais à ma grande surprise, il s’envole immédiatement !… Pourtant nous sommes loin dans notre toute petite embarcation et je suis à fond de mon téléobjectif, soit 450mm !…
Nous sommes déjà bien éloigné de Torcello, j’attends le prochain « Gabbiano Reale » pour avoir cette fameuse image mythique…
Le voilà, je le shoote toujours avec le téléobjectif à fond…
Lui aussi s’envole aussitôt…
Mais là je m’y attends et je le shoote en plein envol…
J’ai compris, ces goélands sont beaucoup plus sauvages que ceux de « San Marco » ou du « Lido » habitués à l’intense navigation…
S’il voit une barque par heure c’est un maximum, ce qui explique leur défiance…
En tout cas, je ne l’ai pas raté le pépère…
Voici le vrai paysage lagunaire avec certaines « Barene » presque immergées…
Méfiance, l’eau à la couleur du sable par endroits, nous rasons les hautfonds…
Sur un pal plus loin un « Gabbiano Comune », (mouette rieuse) …
Nous sommes maintenant bien au nord et nous longeons un « Valle da pesca » (Vallée de pêche) … Ce sont ces piscicultures particulières à la lagune vénitienne où les poissons ne sont pas nourris artificiellement mais se nourrissent eux-mêmes dans de grands espaces lagunaires fermés…
Les plus petites vallées font une centaine d’hectares…
Sur ce blog j’ai publié un article à ce sujet en octobre 2014 et dont voici un extrait pour en expliquer le principe :
« Au printemps, pendant la période juvénile, les poissons se déplacent vers l’intérieur de la lagune où ils trouveront de la nourriture et seront à l’abri des prédateurs.
C’est justement cette habitude de se déplacer vers l’intérieur des lagunes qui est exploitée par les « vallicoltori » (les valliculteurs) …
Il faut savoir également que le poisson ne va jamais « A secondo » (terme vénitien qui veut dire voguer, naviguer ou nager dans le sens du courant) … Le poisson nage toujours à contre-courant ! …
Le principe fondamental de la vallée de pêche est simple ; au tout début du printemps, aux moments propices, le « valliculteur » ouvre les vannes pendant la marée descendante (et les ferme pendant la marée montante), la majorité du jeune poisson rentre ainsi dans la vallée et ne peut ressortir… il y est donc élevé et vendu à l’âge adulte, soit un an, deux ans, voire trois ans plus tard » …
La superficie de la lagune étant de 55000 hectares, plus de 9000 hectares sont occupés par les vallées de pêche, soit 1/6 de la lagune en quelque sorte privatisée…
Nous longeons une de ces fameuses vannes élaborées pour la capture du poisson…
(Sur la carte nous sommes au niveau du « Valle Perini »)
Sur une « bricola » j’aperçois un petit oiseau, je zoome au maximum …
Un « Piro piro Piccolo », en français, le nom de ce petit oiseau limicole est le « Chevalier guignette » …
(Ne croyez pas que je sois un ornithologue accompli mais je m’intéresse quand même assez aux oiseaux, donc rentré à la maison j’ai consulté mes bouquins et en particulier « La Grande Encyclopédie des Oiseaux » pour être certains de ne pas raconter de bêtises) …
Nous nous sommes rapprochés lentement et silencieusement, je l’ai bien dans le cadre, mais toujours le téléobjectif au maximum…
Il nous la joue sur une patte…
C’est un petit échassier mesurant 19 à 21 cm de long pour une envergure comprise entre 32 et 35 cm et un poids allant de 40 à 60 grammes…
Il se nourrit de vers, d’insectes et de petits crustacés …
Il nous a vu venir et s’envole, pourtant nous sommes loin et je suis toujours avec une focale réelle de 450mm, ça cause aux « fotografs » …
Un grand Héron passe au-dessus de note tête…
Plusieurs centaines de mètres plus loin, encore un « Piro piro Picolo » …
Je dégaine comme Lucky Luke pour shooter plus vite que mon ombre…
Il faut vraiment venir dans la lagune sauvage pour shooter ces oiseaux…
Il a l’air tranquille…
Il nous a vu et se dresse sur ses pattes…
Attention, paré au décollage…
C’est parti !…
Quand il déploie ses ailes, on voit sur les rémiges la barre blanche caractéristique de l’espèce…
Il est parti mais il est dans la boite…
Très loin devant nous nous apercevons une « Garzetta », (en français, l’aigrette garzette) …
Encore un zoizeau difficile à approcher…
Mais comme nous naviguons au ras des « Barene » elle ne nous a pas encore captés et continue tranquille sa toilette…
L’aigrette garzette mesure entre 55 et 65 cm avec une envergure de 85 à 95 cm. Elle pèse 500 g en moyenne. Entièrement blanche avec un bec noir légèrement gris bleuté à la base et ses pattes noires sont noires avec des doigts jaunes…
Nous nous sommes bien rapprochés et là, elle nous a calculé…
Elle se tasse sur elle-même…
Ne t’en fais pas ma belle, si tu te sauves je te shoote en plein vol…
Et c’est reparti !…
Mais je t’ai dans le viseur…
Même quand tu montes dans les airs…
Ciao, la belle, tu es dans la boite toi aussi…
Nous continuons dans cet agréable paysage lagunaire…
Alors là, nous n’en croyons pas nos yeux, nous apparait un oiseau aussi grand qu’un grand héron avec un énorme bec recourbé…
Jamais vu un tel animal dans la lagune ! …
Sur le coup nous sommes dans l’expectative…
Renseignement pris plus tard à la casa, il s’avère que c’est un « Ibis à cou noir », en italien « L’ibis bianco australiano » …
Étonnant de le voir chez nous car il n’est pas dans sa zone géographique et ce n’est pas à priori un migrateur, il serait plutôt d’instinct grégaire…
Ce que j’ai trouvé à ce propos :
« Son aire de distribution couvre le nord, l’est et le sud-ouest de l’Australie, mais on le trouve également dans le sud de la Nouvelle-Guinée, dans l’archipel des Moluques et dans les petites îles de la Sonde. Une population isolée vit aux îles Salomons. »
Et bien, on en trouve UN aussi dans la lagune vénitienne !!!…
Taille 76 cm, envergure 125 cm, poids de 1400 à 2500 grammes
« L’ibis à cou noir » présente une tête nue, un cou et un long bec recourbé noir. La plus grande partie du plumage corporel est blanc, le dessous des ailes affiche une tache longitudinale rouge…
Il nous a repéré et prend son envol…
Envergure spectaculaire…
Joli pas de danse…
Vol majestueux…
Il s’est posé un peu plus loin dans les « Barene » …
Les ibis à cou noir consomment une grande variété d’invertébrés terrestres et aquatiques comme les moules, les crabes, les crevettes, les vers… Cependant leur menu varie beaucoup selon l’habitat. Les vertébrés comme les grenouilles, les poissons forment donc également une part non négligeable…
Autant dire que dans la lagune il est à la fête…
Cette fois il ne nous attend pas…
Nous voyons les petites taches rouges sur les ailes…
Nous le laissons tranquille, mais je suis trop content de l‘avoir shooté…
Un petit cliché sur les « Barene » avec les « Dolomite » en toile de fond…
Nous sommes au milieu de la lagune et nous pourrions nous croire en plein champs…
Ces grands espaces lagunaires sont aussi des territoires de chasse…
Presque tous les « Valli de Pesca » louent leurs droits de chasse, donc sécurité absolue puisque ces territoires sont privés…
Voici une cache pour les bateaux des chasseurs…
Tout à coup nous entendons crier au-dessus de notre barque…
Ce sont deux « Cavaliere d’Italia », le nom français « échasse blanche » …
Elles tournent en rond autour de nous à une rapidité folle et en poussant continuellement des petits cris…
Le « Cavaliere d’Italia » a le plumage noir et blanc avec les ailes noires, ainsi que le haut du dos et l’arrière du cou. Le bec long et fin est noir et droit. Les très longues pattes et les doigts sont rougeâtres rose.
Taille 40 cm, Envergure 67 à 83 cm, Poids160 à 200 g…
Il se nourrit d’insectes aquatiques, vers, têtards et larves de mouches, ainsi que de crustacés, mollusques et araignées, donc parfaitement adapté à notre lagune…
Elles nous font comprendre que nous sommes des intrus, trop près de leur lieu de nidification et que nous les dérangeons…
Je vais me choper un torticolis à les shooter…
À notre grande surprise nous découvrons une maison avec plein de monde à l’intérieur, en train de déjeuner apparemment…
Que des hommes, surement un rendez-vous de chasseurs d’eau…
Mais comment sont-ils arrivés là ? …
Quelques mètres en avant, nous découvrons une petite anse, cachée aux regards, avec 6 bateaux amarrés, l’énigme est résolue…
Entre deux « Barene » le ciel nuageux se reflète dans la lagune tandis qu’une volée de goélands passent en criant devant nous…
C’est trop chouette et je me sens l’âme bien vénitienne…
Dans le ciel un héron volant toujours sur fond de « Dolomite » …
Nous avons navigué dans les méandres formés par les « Barene » et nous apercevons tout au fond le rendez-vous de chasse de tout à l’heure…
Droit devant nous, l’île de la « Cura » et sa tour en ruine…
Elle faisait partie de l’ancienne ville de Costanziaca…
Les fouilles archéologiques ont mis à jour des vestiges des anciennes cités du 7ème siècle …
Quoiqu’il en soit une patrouille de « Gabbiani Reale » monte la garde…
Quelques brasses plus loin, « l’Ossario di Sant’Ariano » …
(attention, erreur sur la carte où il est inscrit Ossario di Sant’Antonio)
Au 16ème siècle jusqu’au début du 20ème cette île fut utilisée pour transférer les ossements du cimetière de San Michele et soulager ce dernier…
Un mur partiellement en ruine entoure cet ossuaire pour cacher à la vue les os en monticule restés longtemps à l’air libre… Ils sont aujourd’hui recouverts de terre…
Subsiste la petite chapelle envahie par la végétation…
Le capitaine Hugo tient la barre, carte en main…
Car la navigation est périlleuse, depuis deux heures plus de « Bricole » ou de « Pal » pour nous indiquer les chenaux, comme dans la lagune centrale…
Les « Barene » se prolongent dans l’eau de la lagune et forment des pièges… Les hautfonds sont dangereux, si on s’ensable ou s’embourbe dans ces endroits où personne ne passe, on est mal…
Sur un tout petit bateau comme le nôtre, nous n’avons pas d’échosondeur…
Mais le spectacle est si beau que le risque en vaut la peine…
Ça y est, nous avons retrouvé les « Bricole » et, cerise sur le gâteau, nous découvrons encore deux magnifiques oiseaux à l’allure bien particulière…
Ils ont un petit air « rigolo » …
Ce sont des « Beccaccie di mare » … Nous aurions tendance à le traduire par « bécasses de mer » mais c’est un faux ami… Le nom français est « Huitrier pie » …
On ne le trouve que sur les côtes ou les espaces lagunaires…
L’huîtrier pie mesure de 40 à 45 centimètres de longueur avec un bec de 8 à 9 cm et une envergure de 80 à 85 centimètres…
C’est un oiseau de type pluvier curieux et bruyant, avec un plumage noir et blanc, des pattes rose-rouges, des yeux rouges et un bec orange à rouge
Il se nourrit principalement de mollusques bivalves (moules, coques) et se révèle particulièrement habile pour ouvrir les coquillages en les martelant ou en écartant les valves et en sectionnant avec son bec le muscle qui les relie…
Celui de droite nous a repéré malgré la distance…
J’ai dégainé et je suis prêt à shooter le départ…
Décollage !…
Envol dans les airs !…
Au tour du second…
Dans la direction opposée…
Choisissant l’envol au ras des flots…
Et hop, encore dans la boite tous les deux…
La balade prend fin…
Comme nous sommes cap au suroit, le campanile de « Burano » penche maintenant sur notre bâbord…
Un excellent repaire d’orientation quand on a pas de compas comme sur notre petit bateau…
Dernière vue sur la cathédrale de « Torcello » et encore toujours les Alpes et les « Dolomite » en arrière-plan…
Avec l’espoir que le partage de ce petit safari lagunaire vous aura plus autant qu’à nous…
Claudio Boaretto
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