LA BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN DE VENISE, CÔTÉ ARSENAL
Posté par Claudio Boaretto le 23 novembre 2019
L’avant-dernière semaine de novembre 2019, nous visitons la partie « Arsenale » de la Biennale d’art contemporain de Venise sachant qu’elle ferme ses portes dimanche prochain…
Devant l’espace immense, pour ce reportage je me focalise sur les sculptures, les performances et les installations, évitant ainsi peintures et « fotografies » car quoi de plus ballot que de « fotografier » une « foto »…
Les paragraphes écrits en bleu et en italique proviennent des billets explicatifs des œuvres ou du Net…
La première œuvre que nous rencontrons s’intitulent :
« March of the Valedictorians » de Jesse Darling, artiste anglaise…
Des chaises en plastiques avec de grandes pattes en acier et quelques rubans qui pendent…
À priori, ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais si nous lisons les explications :
« Vieilles chaises soutenues par des tiges élancées, qui les rendent tremblantes et apparemment fragiles, forment une installation à la fois intense et non monumentale d’où naît le sentiment de soutien mutuel.
La chaise en plastique rouge est un objet de grand poids psychodynamique. En l’adoptant, Darling prend une icône sans prétention de notre psyché collective de l’enfance et applique une énergie sinistre et mutante. etc. etc. …»
Je me demande si l’œuvre contemporaine n’est pas plutôt le texte qui la définit…
« Nowhere » de Yin Xiuzhen, artiste chinoise…
Deux roues géantes et spectaculaires enveloppées de tissu noir se profilent dans les airs, plutôt que de se déplacer sur le sol comme on devrait s’y attendre…
« Trojan » de Yin Xiuzhen…
cadre en acier, vêtements usés, œuvre géante de 570 x 220 x 151 cm.
« Un passager sur un siège d’avion assume la position indiquée par les instructions de sécurité. Trojan incite les visiteurs d’accéder à un espace claustrophobe et caché qui accentue ultérieurement la sensation d’anxiété et arrive presque à évoquer l’annonce d’une imminente turbulence qui invite à s’agripper fortement »
« Chair for the Invigilator » de l’artiste lituanien Augustas Serapinas…
« « ça m’intéresse de créer des points de vue alternatifs » affirme-t-il… La série Chair for the Invigilator, inspirée des sièges de maîtres-nageurs pensés pour être utilisés par les surveillants de l’exposition, par ailleurs invisibles au milieu du public, ainsi assis comme sur un trône, dotés d’un statut théâtral, ils continuent d’observer la foule à leurs pieds »…
Ouais ben, un siège de maitre-nageur, un peu « foutage de gueule », non ?…
« BÉBU » de l’artiste français Jean-Luc Moulène dont nous avons déjà vu des œuvres dans l’espace Giardini…
Bronze, patine d’or, base en métal…
Sculptures de Nicole Eisenman, plasticienne américaine, née en 1965 à Verdun en France…
« Son antenne pour la dynamique de la vie contemporaine conduit Nicole Eisenman à la vérité inexorable que le monde reste peuplé d’hommes pervers poussés par le pouvoir, la gloutonnerie, l’avarice, la soif de sang et leur conviction que l’argent est une valeur à conserver avant toutes les autres. Dans ses œuvres sculpturales à l’Arsenale, Eisenman décrit ces forces comme étant monstrueuses, déformées et tordues, éviscérées et cancéreuses. »
« Econ Prof », bronze…
« The general », bronze, acier inoxydable poli, vernis, tissu…
« Sherpson » bronze et aluminium…
« King Head » aluminium et acier inoxydable…
« American Goth », acier inoxydable et pâte à papier…
« Head with Demon », bronze et fontaine d’eau…
Handiwirman Saputra, artiste indonésien…
« Au cours des dix dernières années, Handiwirman Saputra a créé une série de sculptures et de peintures énigmatiques intitulées No Roots, No Shoots , déclenchées par des objets choisis au hasard dans la vie quotidienne. La source de certaines de ces œuvres était une rivière près de chez lui, où des racines de bambous et d’arbres étaient enchevêtrées dans des ordures ménagères ».
« Saputra a été intrigué non seulement par les choses qu’il a découvertes là-bas, mais aussi par les associations qui les unissent: «On pourrait peut-être aussi les dire pour créer une conversation, un dialogue sur l’expérience vécue de cette chose – à quoi elle a été utilisée depuis ses origines jusqu’au point que je l’ai trouvé « .
« Smiling Disease » de Cameron Jamie…
12 masques en bois particulièrement effrayants si nous les regardons avec des yeux d’enfants…
Voyons quelques-uns en détail…
« Pour son installation à l’Arsenale, Jamie s’inspire de la tradition folklorique des Perchten, un personnage alpin hivernal associé aux Krampus. »
« L’artiste avait déjà exploré le Krampuslauf dans une vidéo de 2002 dans laquelle il documentait la tradition des hommes s’habillant comme une bête mi-chèvre, mi-démon à cornes qui punit les enfants et les jeunes femmes vilains pendant l’année. »
« Masques en bois sculptés à la forme grotesque que l’artiste a confiés à un artisan autrichien. »
Les masques sont ornés de cornes et de touffes de poils, bien qu’ils aient des liens avec des artefacts tribaux et des masques rituels (comme ceux que les collectionneurs ont recueillis au début du XXe siècle), ils sont principalement destinés à déshumaniser les porteurs, en les réduisant à des monstres. »
« Veins Aligned » de Otobong Nkanga, artiste nigérien…
Marbre lasa Veneto fleur de pomme, verre de Murano et vernis, longueur totale 25,9 mètres…
« En se référant au mouvement et à l’échange de minéraux, d’énergie, de biens et de personnes, le travail d’Otobong Nkanga rappelle que les objets et les actions n’existent pas isolément: il y a toujours un lien, toujours un impact. Les identités africaines sont multiples. Quand je regarde, par exemple, les cultures nigérienne, sénégalaise, kényane, française ou indienne, vous ne pouvez parler d’une identité spécifique sans parler des impacts coloniaux et de l’impact de cet échange de commerce, de biens et de culture ».
« Récifs de corail au crochet » de Christine et Margaret Wertheim…
« Nées à Melbourne et élevées à Brisbane, les sœurs jumelles ont appris à coudre et à tisser leurs propres vêtements dès l’âge de 10 ans. Au début de la vingtaine, leurs intérêts ont divergé. Margaret a étudié les mathématiques et la physique en Australie et est devenue une communicatrice scientifique. Christine étudie le design de mode puis quitte le pays pour étudier la peinture en Italie et la théorie critique en Grande-Bretagne. Vingt ans plus tard, en 2001, elles se sont réunies à Los Angeles, où elles partagent encore une maison, et ont ensuite fondé l’Institute for Figuring, une organisation « vouée aux dimensions esthétique et poétique des mathématiques et des sciences ». »
« L’un de leurs premiers projets, le récif de corail au crochet , est présenté dans une nouvelle incarnation. Conçu en 2005 et en pleine croissance, le projet a mobilisé plus de 10 000 personnes, principalement des femmes, pour développer des formes de géométrie hyperbolique – une branche des mathématiques qui examine les formes compliquées et crénelées du corail et de nombreuses espèces anciennes immergées. Margaret Wertheim a déjà noté que « les femmes qui crochaient et tricotaient des volants depuis des centaines d’années avaient créé par inadvertance des espaces hyperboliques. Elles avaient littéralement fait des mathématiques avec leurs mains ».»
« Lord of Abandoned Success (L’Argile Humide) » par Maria Loboda, artiste polonaise…
« Cette œuvre exposée consiste en une série de pièces d’argile humide à moitié formées sur des chevalets de sculpteurs, partiellement enveloppées de plastique film et dans des vêtements qui semblent empruntés à la garde-robe d’un homme (chemises habillées, cravates, costume et veste en jean). »
« Le matériau semble avoir atteint son stade d’achèvement, mais si vous regardez un peu mieux, vous réalisez que les œuvres ont été abandonnées par l’artiste dans un état « non final » .
Loboda analyse avec cette installation l’impossibilité d’atteindre l’état d’achèvement dans l’art : les œuvres ne seront probablement pas finies par l’artiste qui les a créées et les vêtements, plutôt que des tapis fonctionnels recouvrant de l’argile, sont des moyens de suggérer la possibilité de se défaire de son apparence pour devenir quelqu’un d’autre, en assumant peut-être un nouveau rôle dans la vie »
Je me suis arrêté sur cette installation, comme une grande pièce à vivre, l’harmonie m’a plu mais pas de billet explicatif…
« Flesh in stone» de Yu Ji, artiste chinois…
Ciment, câble d’acier, craie…
« Microworld » de l’artiste chinois Liu Wei… Plaques d’aluminium
« Dans sa grande installation sculpturale ‘Microworld’, Liu Wei joue avec le sens de la dimension et la différence d’échelle entre spectateur et œuvre d’art. le travail consiste en formes géométriques incurvées faites à partir de plaques d’aluminium poli pour représenter des molécules grossies et des particules élémentaires que les visiteurs, derrière la cloison en verre, observent comme des créatures microscopiques. »
« Eskalation » de Alexandra Bircken, artiste allemande…
« Dans l’Arsenale, l’artiste expose l’installation viscérale, apocalyptique et dynamique ESKALATION (2016), une vision dystopique de ce à quoi pourrait ressembler la fin de l’humanité. »
« Quarante silhouettes, réalisées en tissu calicot immergé dans du latex noir, pendent des échelles qui atteignent le plafond. »
« L’absolue verticalité de l’œuvre, les silhouettes qui montent arrivent aux obstacles et tombent, évoquent une lutte difficile entre polarités : le paradis et l’enfer, le succès et la défaite, l’espérance et le désespoir… »
« L’unique certitude est le désir de monter plus haut en maintenant une croissance exponentielle mais qui comporte inévitablement un prix à payer »
« Incubo » toujours d’Alexandra Bircken, une moto dans un style apocalyptique…
« Big Whell » 1, 2 et 3 de Arthus Jafa, artiste Afro-Américain…
« Une installation visuellement écrasante faite de trois pneus de camion, de jantes et d’enjoliveurs, le tout entouré de chaînes. Tout est noir. Les trois œuvres expriment la fascination de l’artiste pour la culture industrielle du Mississippi et la fabrication des roues géantes de camion par les ouvriers noirs.»
« Mais en les entourant de chaînes noires, Arthur Jafa va au-delà. Si la grandeur de ces pneus enchaînés exprime l’assujettissement dans des États où a sévi auparavant l’esclavage, les habillages d’acier ont aussi l’élégance de gants féminins brodés, d’un autre temps, car les technologies de fabrication par les ouvriers noirs sont dépassées, avec tout ce que cela induit au niveau de l’emploi. »
« Ces pneus sont donc des monuments à la gloire des ouvriers noirs, mais aussi à un mode de vie passé et basé sur la mobilité. Ce qui a assuré l’élévation d’un mode de vie s’est effondré. »
Sculptures en verre, cristal de plomb, de l’artiste roumaine Andra Ursuta…
Partiellement remplie de liquide ces sculptures rappellent les élégantes bouteilles d’alcool…
Mais en regardant de plus nous y voyons des formes inquiétantes…
« Compulsions obsessionnelles et désirs violents; soumission à la domination sexuelle et politique; la fragilité de l’existence humaine; l’identité en tant que construction et fiction: ce sont quelques-uns des thèmes qui sous-tendent les scénarios nihilistes et tragicomiques explorés dans les sculptures et installations d’Andra Ursuţa. »
« Paradoxe et ironie, l’œuvre de l’artiste s’inspire d’événements politiques, de clichés et d’allégories, ainsi que de souvenirs personnels, dans le but d’exposer et de perturber les dynamiques de pouvoir qui perpétuent les frontières précaires entre violation et banalité, indifférence et empathie, abjection et humour. »
« After Illusion » de Zahrah Al-Ghamdi, artiste saoudienne…
« After Illusion propose un dialogue créatif entre l’artiste saoudienne Zahrah Al Ghamdi et des matériaux naturels qu’elle associe à son chez-soi. »
« Les 50 000 sphères de cuir faites à la main prennent vie autour de vous, brillantes, vibrantes et bougeant comme des créatures, activées par la présence du visiteur. En les invitant à reconnaître, à se reconnecter et à revivre un sentiment d’explorer quelque chose de nouveau mais familier. »
Un pas dans un monde imaginaire créé par l’artiste pour chercher du réconfort dans son cheminement vers la réalisation de soi. »
Nous sortons d’un monde imaginaire pour pénétrer dans un autre…
« El nombre de un pais » de Mariana Tellerai dans le pavillon de l’Argentine…
Un petit côté angoissant dans cette suite de sculptures verticales exposées dans la pénombre…
« Le nom d’un pays est un bestiaire punk, « Frankensteinien », qui affiche une attitude de collection à la mode, condensant les sédiments du monde de Mariana Telleria. »
L’artiste trace une autoroute avec un nombre infini de voies linguistiques, ce qui engendre la confusion – mélanger des choses, créer des monstres – et de maintenir la conscience du spectateur dans un état de transit continu, perdue dans la pénombre entre ce qu’ils voient et le besoin de lui donner un sens.
La procession de sculptures est présentée comme un support à la transformation intuitive des choses; une archive de significations désacralisées où l’iconographie religieuse, les déchets, la mode, le spectacle et la nature partagent la même hiérarchie horizontale.
Un jeu de glace amplifie l’atmosphère sombre et mystérieuse…
Arrivés à l’extrémité, un regard arrière permet d’apprécier la longueur de l’espace en visionnant la porte d’entrée…
« Written by Water » de Marco Godinho dans le pavillon du Luxembourg
« Marco Godinho, artiste luxembourgeois d’origine portugaise, pour représenter le Luxembourg a choisi de se concentrer sur les relations que l’être humain entretient avec la mer. En quête permanente de nouveaux horizons, Marco Godinho est un explorateur du monde, de ses seuils et de ses marges géographiques, politiques et philosophiques dans lesquels il évolue lui-même. »
« Dans Written by Water , l’artiste explore les profondeurs de la mer Méditerranée, à la fois comme un véritable territoire d’aventures et de tragédies et comme un espace imaginaire collectif. Le public est plongé dans un monde liquide d’imagination, de réflexion et de contemplation qui l’encourage à projeter ses histoires sur une toile stratifiée d’impressions en constante évolution et apparemment inépuisables »
Encore une fois, je me demande si l’œuvre contemporaine n’est pas plus due à son billet explicatif qu’à l’œuvre elle-même…
En début d’année, sur la plage du Lido, nous avons rencontré 4 à 5 personnes bottées, avec des casiers ajourés contenant de cahiers, cahiers qu’ils trempaient dans l’eau et qu’ils mettaient ensuite à sécher sur le sable… C’étaient les « artistes » du pavillon du Luxembourg…
Je reste perplexe…
« I have forgotten the night » de Joël Andrianomearisoa, artiste malgache…
« J’ai oublié la nuit . Pour le premier pavillon malgache de la Biennale de Venise, Joël Andrianomearisoa invente un univers onirique à parcourir, une nuit de papiers déchirés d’amour et de mort dans les nuits d’Antananarivo, de Madrid, du Bosphore, de Paris et de Cotonou. Un hommage à la grandeur du noir et à ses errances désolées qui se plient, expliquent, montrent les contours, chantent et rient avec l’arrivée de la nostalgie. »
« the Shrinking Universe » par Eva Rothschild, pavillon irelandais…
« Le rétrécissement de l’univers. Par son utilisation diversifiée de matériaux et de formats sculpturaux, Eva Rothschild construit un environnement immersif permettant de contempler l’héritage matériel des civilisations actuelles et passées.
Ses œuvres abordent également des signifiants et des objets de son environnement urbain ainsi que les formes éternelles de géométrie et de classicisme. Son sens des matériaux, son échelle, sa monumentalité, sa couleur et sa ligne reflètent une sensibilité esthétique raffinée qui redéploye et subvertit des formats sculpturaux familiers. »
« Galerie de portraits Subaltern » de Voluspa Jarpa, pavillon du Chili…
« Projet qui s’inscrit dans la lignée des recherches menées par Voluspa Jarpa, un artiste connu pour ses œuvres à connotation politique qui utilise des documents d’archives d’agences de renseignement pour déchiffrer et relire des faits historiques
Le projet rassemble des concepts qui définissent la colonie: race et métissage, sujets masculins subordonnés, cannibalisme, genre, civilisation et barbarie, monarchie et république, faisant appel à une vision critique d’un voyage transtemporel. »
Après une journée dans les méandres de l’art contemporain nous arrivons au terme de cette exposition, nous sommes fourbus…
Dehors à l’air libre, je retrouve mes marques en shootant des endroits familiers,
La « Barca Nostra » exposée sur le quai du bassin de l’Arsenal…
« L’artiste suisse-islandais Christoph Büchel a conduit à la Biennale de Venise la « Barca Nostra » , l’épave du bateau coulé le 18 Avril 2015 dans le détroit de Sicile, à 96 km de la côte libyenne et 193 km au sud de l’île de Lampedusa eaux internationales…
il s’agit du naufrage le plus meurtrier de la Méditerranée au cours des dernières décennies , avec seulement 28 survivants et entre 700 et 1100 disparus.
Le bateau, acheté par les trafiquants libyens, était rempli de migrants, dont la plupart étaient enfermés dans la soute et la salle des machines quand il est entré en collision avec un cargo portugais qui tentait de le secourir. Le bateau de pêche a coulé, en raison de l’incompétence de son capitaine, emportant presque toute sa cargaison humaine dans les profondeurs…
Barca Nostra , monument collectif et mémorial de la migration contemporaine est une métaphore de toutes les migrations, de toutes les dérives, de toutes les évasions difficiles dans lesquelles la démocratie sombre, ainsi que les principes d’égalité et de solidarité. »
La « Darsena » couverte où s’abritaient autrefois les galères vénitiennes…
D’où nous apercevons « Les Mains » près de la Tour Neuve…
Focus sur l’œuvre du fils d’Anthony Quinn…
Chemin rentrant je ne résiste pas à shooter ce « Gabbiano » buvant l’eau de la fontaine dans la via Garibaldi…
À dans deux ans pour la prochaine Biennale de Venise…
Claudio Boaretto
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